Une journée à Gaza: un témoignage de Jamal Eid.

Comme tu le sais, je reste souvent éveillé pendant la nuit à cause des bombardements israéliens qui m’empêchent de dormir. Cette nuit, je me suis endormi vers 8h du matin. Pour me réveiller à 11h30 – trois heures et demie de sommeil. Je me suis habillé et ai quitté la maison sans petit déjeuner. Tu sais que nous sommes en plein Ramadan ça veut dire ni eau, ni nourriture, ni cigarette toute la journée. Je suis allé à la banque pour retirer de l’argent, j’y suis arrivé vers midi et quart… jusqu’à 16h45 et je suis rentré les mains vides… Il y avait des centaines de personnes devant le distributeur de billets ATM pour retirer du liquide… A plusieurs reprises le distributeur a du être réalimenté… Finalement l’électricité a été coupée… Ca m’a mis en colère… Après avoir attendu 4 heures et demi, devoir repartir sans argent. Pendant cette attente j’ai reçu plusieurs appels de ma femme et d’autres membres de la famille m’informant des bombardements israéliens dans différents quartiers de la ville de Gaza. Ils voulaient s’assurer que je n’étais pas au mauvais endroit au mauvais moment.


Sur la route du retour, ma femme m’a appelé pour me dire qu’il manquait du pain à la maison. Nous abritons deux familles évacuées de l’Est de Gaza depuis les bombardements. Je lui ai dit que j’allais voir ce que je pouvais faire, car, trouver du pain actuellement à Gaza n’est pas chose facile : une partie des boulangeries sont fermées à cause des coupures d’électricité, d’autres parce que le boulanger a perdu des membres de sa famille, d’autres encore parce que les boulangers vivent dans d’autres quartiers que celui où ils travaillent et il est dangereux pour eux de se déplacer. Je te laisse imaginer la foule qui attend devant les boulangeries encore ouvertes… j’en ai finalement trouvé une où j’ai attendu une heure et demi pour n’obtenir en fin de compte qu’une ration de pain et j’étais pourtant content de rapporter du pain à la maison. Je suis arrivé chez moi à Tel-el-Hawa au Sud Ouest de la ville à 19h30, vingt minutes avant Iftar (la rupture du jeûne). Une fois de plus j’ai pris les escaliers à la place de l’ascenseur à cause d’une coupure d’électricité, je suis arrivé à la maison en sueurs et je me suis dit que j’avais dix minutes pour prendre une douche rapide avant Iftar. Ma femme me dit qu’il n’y avait plus d’eau malgré notre citerne de 36 000 litres destinée aux 21 familles de l’immeuble mais le nombre de familles a beaucoup augmenté puisque chacune d’entre elles en reçoit plusieurs autres évacuées de leurs maisons dans l’Est de Gaza…. Finalement, pas de douche.


Nous étions tous assis, ma famille et nos nombreux hôtes, quand j’ai reçu un coup de fil m’informant que l’un de mes amis employé chez un fournisseur d’Internet avait été blessé au cours du bombardement aérien de sa maison et me demandant d’aller prendre de ses nouvelles – j’habite tout prêt de l’hôpital où il avait été transféré. J’ai interrompu mon dîner et me suis rué à l’Hôpital Shifa où l’on me dit qu’il avait été transféré à l’Hôpital Al Quds car son état était jugé stable !!! J’ai pris à nouveau des risques pour me rendre d’un hôpital à l’autre sous les bombardements qui s’intensifiaient. Quand je suis arrivé j’ai demandé où il était, le réceptionniste m’a donné son numéro de chambre… J’y suis allé, j’ai ouvert la porte et je l’ai vu !!!!! sans jambes. Malgré le choc, je n’ai rien laissé paraître et me suis approché de lui. Je ne sais plus ce que je lui ai dit pour faire bonne figure, puis je lui ai demandé comment c’était arrivé. Il m’a répondu : j’étais à la maison quand j’ai entendu des bombardements partout autour de nous, je suis sorti sur le balcon, j’ai vu mon voisin de l’autre côté de la rue courant me demander abri, je suis rentré à l’intérieur demander à ma femme et mes enfants de s’abriter au fond de l’appartement… pendant que nous traversions le couloir, je me rappelle d’une lumière puis plus rien… je me suis réveillé à l’hôpital.


Son frère qui était près de lui me donna la fin de l’histoire : « Quand j’ai entendu le bombardement et que j’ai vu que la maison de mon frère était ciblée, j’ai couru avec d’autres pour les aider. En pénétrant, nous avons vu des verres brisés, des gravats, des vêtements, du bois partout avec de la poussière et une odeur de fumée plein la maison, c’était le chaos… puis j’ai vu mon frère qui saignait et sa famille de l’autre côté, en larmes, on s’est débrouillés pour les sortir et les transférer à l’hôpital de Deir El Balah où les médecins l’ont conduit en salle d’opération… Pendant qu’on attendait à l’extérieur, une grosse explosion est survenue, arrachant la porte. Moi et d’autres gens qui attendaient, nous nous sommes rués à l’intérieur, pour voir du sang partout ; j’ai porté mon frère qui était encore inconscient, je l’ai sorti dehors jusqu’aux nombreuses ambulances qui commençaient le transfert des blessés à l’hôpital Al Shifa de Gaza. C’est là que mon frère a subi l’amputation de ses pieds. »

Il poursuivit : « Plus tard, j’ai appris que le médecin qui avait opéré mon frère avait été blessé avec un autre médecin durant le bombardement de l’hôpital ». « Cinq personnes ont été tuées et quarante ont été blessées », conclut-il.

Cher François, Ca n’est pas un film d’action, ni un film américain dont les héros survivent toujours, c’est une histoire comme il en arrive à Gaza tous les jours et toutes les heures.

J’ai quitté l’hôpital pour rentrer à la maison en retenant mes larmes. Je suis arrivé à onze heures et demie. L’électricité était toujours coupée, j’ai repris les escaliers jusqu’à mon appartement. J’ai trouvé ma femme, mes invités et mes enfants toujours éveillés, je leur ai raconté toute l’histoire, sans tenir compte de la présence des enfants… Quand j’ai terminé, ma petite fille Lama m’a demandé : « Est-ce que les Israéliens vont bombarder notre maison ? » J’ai répondu : «Bien sûr que non. » Elle a poursuivi : « Tu me protégeras s’ils le font ??? »

J’ai dit très fort, pour ne pas lui montrer ma faiblesse : « Bien sûr que je te protégerai… ». Elle m’a serré très fort en disant : « Je t’aime, Papa. »

Cette question continue de me bouleverser, tant je sais que la vraie réponse, je ne pourrai la donner à ma fille…


Jamal »