La remarquable résilience du peuple Haïtien

Récit de Corinne Perron- Les éclairs déchirent le ciel d’encre de Port-au-Prince. Le tonnerre est si fort qu’il fait mal aux oreilles. Le ciel craque et claque de toutes parts. Le spectacle est fascinant, on en oublie nos frayeurs. Chaque soir, la pluie tombe avec fracas sur les tentes. Une pluie chaude, épaisse, interminable.


Dans le crépuscule tropical si prompt à se faire dévorer par la nuit, des petites filles déplacent des seaux sous les gouttières qui se forment sur les bâches. C’est toujours ça qu’elles n’iront pas chercher au puits. Les jeunes hommes, couverts de savon, se décrassent de toute la poussière des démolitions et des déblaiements qu’ils font le jour. Les femmes, accroupies, dans une pudeur touchante, se lavent en tentant difficilement de dissimuler leur nudité. C’est la douche pour tout le monde, et les petits sautent dans les flaques. C’est aussi la boue dans les corridors, les ordures dans les ravines qui dévalent dans le bas de la ville.

La nuit des tropiques tombe comme une chape. Il n’y a pas d’électricité. Les bougies, fragiles, atténuent l’obscurité sous les tentes et permettent juste d’arranger un peu la paillasse sur laquelle on va essayer de trouver le sommeil. Les cordes qui tombent dehors claquent sur les toits bleus et forment des rideaux opaques devant les ouvertures. Les heures sont longues à attendre la fin du déluge pour pouvoir s’allonger.

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Dans la pâleur de l’aube, il fait déjà chaud. Une chaleur lourde, poisseuse, sans aucun souffle de vent, sans aucune traversée de brise. La ville cuit dans ses pierres, étranglée au pied de ses mornes surpeuplés et toutes plaies dehors. Les senteurs d’ail et de piment bouc remplacent peu à peu les odeurs de haillons mouillés, de flaques d’urines stagnantes et d’eau croupie où prolifèrent des anophèles gorgés de malaria.

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Dans ces premières heures encore palpitantes des rêves turbulents et moites de la nuit, les marchandes ambulantes ont sorti leurs paniers de mangues, de melons, de patates douces, de chadèques, et toutes ces choses qui font ces odeurs et ces goûts d’ici.A Bristout, on assiste à des démontages de tentes. Des gens remballent, ils retournent chez eux, ils ont réparé leurs petites maisons en agglo. Ils n’attendent plus l’aide improbable de l’Etat ou celle trop lente des agences internationales. Ils ont reconstruit tant bien que mal, à moindres frais, refait comme avant. Les tentes qui restent, encore nombreuses, sont celles des gens qui n’ont rien ou qui ont tout perdu. Partir de là signifierait pour eux retourner dans les rues étroites d’où monte le remugle des flaques boueuses et des végétaux en décomposition, dans les ravines avec les animaux scatophiles, dans les rigoles nauséabondes aux odeurs de latrines et de vase de nuit.

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Dans la maison de santé, la salle d’attente ne désemplit pas. La chaleur y est pourtant intenable.
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Des femmes au regard inquiet tiennent sur leurs genoux des enfants brûlants de fièvre. Les petits sont K.O, complètement hypotoniques, sérieusement déshydratés. Toujours nombreux sont les cas de diarrhée, d’infections pulmonaires. La promiscuité et les conditions de vie difficiles qui perdurent font resurgir des maladies évitées ces derniers mois. Nous dépistons des palu et suspectons des cas de tuberculose. Nous les transférons à l’Hôpital de la Communauté Haïtienne (HCH) qui assure les traitements. Il prend en charge aussi les enfants dénutris que nous lui adressons. La malnutrition devient flagrante et touche de plus en plus de familles dans le bidonville. Nous avons alerté le ministère de la Santé et l’OMS. Nous avons sollicité l’UNICEF pour nous aider à dépister et surtout à prévenir la malnutrition.


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Les gros travaux de déblaiements et de reconstruction anarchique qui ont commencé en cette saison de fortes chaleurs et de morsures du soleil, drainent leur lot d’accidents et de blessures chez des hommes qui travaillent à mains nues, pieds nus aussi dans leurs claquettes, sans aucune précaution ni protection. Quand ils nous montrent leurs plaies, il s’est déjà passé plusieurs jours, des jours à travailler pour un salaire de misère, à ne pas pouvoir s’arrêter pour se faire soigner. L’infection est déjà profonde. Leurs yeux ne sont pas épargnés. A faire de la soudure avec des lunettes de soleil, ils brûlent leur cornée, et quand ils réduisent les décombres à coups de masse, il n’est pas rare que des éclats de béton la blesse ou la transperce.

Dans ce quartier où les abris sont si précaires et les vies si vulnérables, on appréhende la saison des ouragans qui arrive dans quelques jours.

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