Tibet : Tsewang Dondrup, une histoire tibétaine en exil

Par Alexandre Marchand | Etudiant en journalisme | 08/09/2009 | 17H35

Article paru sur www.rue89.com

(De Dharamsala) Accrochée aux contreforts des Lower Himalayas, Dharamsala (Himachal Pradesh) est une agréable station de montagne dans laquelle débarquent des flots continus de touristes et de hippies. Mais de cette foule vêtue à l'occidentale surgissent ça et là des teintes ocre et mauve. Les moines tibétains sont là pour rappeler au voyageur, si besoin en est, qu'il se trouve au centre de la communauté tibétaine en Inde.

Il y a cinquante ans cette année, le dalaï lama s'enfuyait de Lhassa, capitale tibétaine, entraînant dans son sillage des foules d'exilés volontaires. L'hémorragie n'a jamais cessé depuis. Aujourd'hui encore des Tibétains continuent de prendre le chemin de l'Inde pour échapper à la présence chinoise. Tsewang Dondrup est un de ceux-là.

Coincée entre deux échoppes, l'entrée sombre du centre pour les réfugiés tibétains est peu engageante. C'est ici, dans une triste chambre sentant le feu de bois, que réside Tsewang depuis son arrivée en Inde il y a trois mois et demi. Dehors, la pluie martèle les vitres et des torrents d'eaux dévalent les rues pentues. Petit homme vif au visage rond et au teint hâlé, Tsewang est vêtu d'une polaire rouge, son bras gauche en écharpe. La voix chargée de colère, il entame son récit.

Fermier dans la province de Kham (est du Tibet), Tsewang se joint en ce 24 mai 2008 à une manifestation pacifique spontanée en faveur des droits de l'Homme dans la ville de Tihoe. Seules armes des participants : des slogans, que ce soit parce que « Sa Sainteté le dalaï-lama interdit l'usage de la violence » ou, sur un plan plus pratique, parce que les Chinois ont entrepris de confisquer tout objet susceptible de servir d'armes.

Face au groupe, près de 200 policiers et soldats chinois. Ayant d'abord vainement tenté de disperser les manifestants à coups de barres de fer, la police se met à tirer dans la foule.

Fuite à dos de moto

Non loin de lui un jeune moine s'effondre, incapable de se relever. Tsewang se jette à sa rescousse en le traînant par le bras. Rejoint par un autre homme, ils commencent à déplacer le moine. C'est à ce moment-là qu'il reçoit une balle dans le dos dans la région du rein. Balle vite suivie par une autre qui lui traverse l'avant-bras dans toute sa longueur (le curieux angle de ses os atteste de l'irréversibilité des dommages). Il perd connaissance et tombe. Les manifestants le mettent sur une moto où deux hommes prennent son corps en sandwich et démarrent immédiatement.

Après une halte de deux heures dans un village voisin, le temps de panser tant bien que mal les blessures afin de réduire l'hémorragie, il faut continuer à fuir. Les deux motocyclistes ainsi que deux autres hommes du village prirent sur eux de le mettre sur un brancard et de le transporter dans les montagnes. Il raconte : « Le trajet fut très douloureux car mes blessures étaient très mauvaises et le terrain très accidenté. »

Avançant uniquement de nuit, sans lumière, se cachant dans les forêts en journée, le convoi marcha ainsi pendant six jours.

Mis sur la liste des « personnes les plus recherchées » par les autorités chinoises, Tsewang se vit privé de toute possibilité retour à la vie normale. Commença ainsi son long séjour dans les montagnes en compagnie de ses quatre sauveurs (trois dont il ne peut révéler les noms car ils vivent toujours au Tibet). Afin d'éviter de se faire repérer, la troupe changeait régulièrement d'emplacement, vaguant de grottes en forêts.

Les tsampas (farine d'orge grillée), cuites la nuit, constituèrent l'alimentation de base des cinq hommes pendant tout ce temps. A tour de rôle, chacun de ses compagnons retournait au village pour un temps afin d'éviter d'éveiller des soupçons et d'amasser de la nourriture et des médicaments. Coûteux, ces derniers étaient payés par des villageois au courant de la présence et de l'état du fuyard. Pendant six mois, Tsewang resta ainsi allongé sur le dos, se rétablissant douloureusement.


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Une « seconde mort », quitter le Tibet

Malgré les rigueurs du climat et un traitement médical assez sommaire, Tsewang réussit à survivre animé, dit-il, « par la volonté de raconter son histoire au monde ». Au bout d'un an et deux mois, se sentant suffisamment fort il prit la décision, sa « seconde mort », de quitter le Tibet pour l'Inde.

Avec un de ses compagnons d'infortune, Lobsang Samten, ils rejoignirent Lhassa où, de là, ils traversèrent l'Himalaya avec l'aide d'un passeur. Trois semaines furent ainsi nécessaires pour atteindre leur havre, le Népal, où ils furent pris en charge par les autorités tibétaines en exil.

Homme simple, sans éducation, Tsewang sait les risques qu'il prend en racontant son histoire, surtout vis-à-vis de sa famille restée au Tibet. Mais son récit ne lui appartient pas, c'est celui de ces personnes qui l'ont aidé à travers ces épreuves, celui de ceux qui vivent toujours cachés dans la nature, celui de toute une communauté. Dans les rues de Dharamsala, la pluie continue de tomber, drue.