Bangladesh : terre de catastrophes et de changement climatique

Pour compléter, voici un article de Gilles Saussier paru dans le Monde Diplomatique sur le sujet :

LES CALAMITES SONT-ELLES NATURELLES ?

Bangladesh, terre mouvante

UNE calamité est-elle naturelle ? La question se pose après les (..) désastres causés par le cyclone Mitch en Amérique centrale. Comme elle s’est posée (..) lors des grandes inondations du Bangladesh. En cas de réchauffement climatique, provoqué par la pollution, les calottes polaires fondraient partiellement et ce pays verrait une partie de son territoire disparaître sous les eaux. En particulier les marges du delta, là où la terre coule mélangée à l’eau et où chaque flot est une promesse de terre à venir, chaque île un dépôt de limon à reprendre. Les habitants de ces îlots, comme ceux de l’embouchure de la baie du Bengale, vivent dans la précarité du sol. Quelques années suffisent, quelques jours, une nuit, pour tout araser. (..)

1 Forêts :

Le Bangladesh a connu, durant la seconde moitié du siècle, une déforestation parmi les plus rapides d’Asie. Les forêts, qui couvraient 24 % du territoire en 1947, n’en représentent plus que 8 %. En 1989, pour enrayer ce déclin, le gouvernement a considérablement durci son code pénal sur les délits touchant à leur destruction. Il s’est aussi lancé dans de coûteux programmes de plantation, financés par la Banque mondiale et surtout par la Banque asiatique de développement (ADB), plutôt que d’investir dans des programmes forestiers plus modestes associant les populations locales. Loin de produire les effets attendus, ces nouveaux moyens, placés entre les mains du très corrompu département des forêts, ont surtout été utilisés pour opprimer davantage, voire exproprier, les minorités ethniques comme les Garos de la forêt de Madhupur, et harceler les groupes sociaux les plus défavorisés, en particulier les paysans pauvres de la frange littorale. Le trafic et les coupes illégales de bois se poursuivent car elles sont avant tout le fait des gardes forestiers eux-mêmes

2 « Chars » :

Les chars sont des îles fluviales, formées du sable et du limon déposés par les rivières en période de mousson. Plus de cinq millions de personnes vivent sur ces îles précaires, dont la moitié sur le seul cours du fleuve Jamuna-Bhramapoutre. La durée de vie d’un char dépend du bon vouloir de la rivière, qui peut éroder une île en quelques jours, ou l’épargner pendant plusieurs décennies.

« La rivière emprunte un chemin puis l’abandonne, c’est le jeu de la rivière », dit un proverbe bangladais. Il y a tout juste deux cents ans, la Jamuna coulait à 100 kilomètres au nord-est de son cours actuel. Les chars et les différents bras de fleuve qui existent à présent étaient constitués de terre ferme.En conséquence, toutes les terres, hors de l’eau comme sous l’eau, sont inscrites au cadastre et appartiennent à des paysans qui les ont héritées de leurs ancêtres. Sur la Jamuna toutes les parcelles s’échangent et il existe même un cours de l’hectare sous l’eau. Car chacun sait que, tôt ou tard, une terre immergée peut resurgir, fertile et cultivable.

3 Sans-terre :

Hormis quelques villages-colonies créés en 1987 sous le régime autocratique du général Ershad, les terres nouvellement émergées en baie du Bengale n’ont pas fait l’objet d’une politique volontariste de distribution aux plus pauvres sous les gouvernements successifs de MM. Khaleda Zia et Sheikh Hassina. En théorie, ces terres nouvelles appelées « khas », nées de la décharge sédimentaire du delta, peuvent être louées auprès de l’administration des impôts fonciers. Dans la pratique, les vastes étendues de terres khas situées dans les régions littorales de Patuakhali, Barisal, Bhola et Noakhali sont aux mains des élites locales - grands propriétaires, fonctionnaires, entrepreneurs - et de leurs hommes de main. Par la violence et, souvent, leurs accointances politiques nationales et ministérielles, ces élites maintiennent d’innombrables familles de sans-terre dans une situation de dépendance, les fixant comme métayers sur des terres exposées aux raz-de-marée. Demeurées sur la terre ferme, voire dans les quartiers résidentiels de Dacca, la capitale, elles n’en perçoivent pas moins les bénéfices.

4 Erosion :

Plus que les grandes crues, sources de dégâts ponctuels pour les récoltes et les habitations mais qui ne causent qu’exceptionnellement des pertes de vies humaines, les paysans redoutent les conséquences de l’érosion. Ce lent grignotage des terres cultivables par les rivières est un drame peu spectaculaire qui prive, bon an mal an, des dizaines de milliers de familles de leur autonomie de subsistance. Sur le seul cours du fleuve Jamuna-Brahmapoutre, l’érosion déplace en moyenne chaque année trente mille personnes.