Témoignage du Dr Régis Garrigue la nuit dernière, à Gaza

Une détonation plus forte que les autres nous précipite dans les couloirs. Avec beaucoup de sang froid, les infirmiers du service de chirurgie apportent des masques de bloc opératoire à tout le monde. «Mettez cela, ils utilisent des gaz», me conseille Ahmad, jeune infirmier, dans un anglais parfait.

Dans cette ambiance indescriptible, je retrouve Ibrahim. Un vieil ami avec qui j’avais déjà travaillé dans les ambulances du Croissant Rouge en 2001. Il est venu se réfugier à l’hôpital avec ses enfants. « La maison en face de la mienne vient d’être bombardée et détruite. Mes 5 enfants devenaient fous. Ils avaient peur et m’ont demandé de faire quelque chose, alors on est sorti en courant dans la nuit, et nous voilà », me dit il en ajustant cette ridicule protection de papier sur son visage.

J’ai mal au crâne. L’odeur est très forte. Ca sent le souffre, comme dirait des vieux grognards, c’est « l’odeur du canon ».
On ne sait plus très bien où l’on est et ce qui se passe. Chacun traine, dans le couloir en marchant ou fumant pour se réchauffer. La fatigue accumulée n’arrange rien. En 3 nuits, nous avons dû dormir 5 ou 6h. Il n’y a plus rien à manger. Nos collègues nous ont trouvé pour diner un peu de pain, du fromage et une tomate. C’est tout.

Alors que depuis quelques minutes, les tirs de char ont cessé, le bruit typique des bombardements des F 16 viennent de reprendre. Un sifflement très long, un grand moment d’angoisse où on se demande « où cela va tomber », puis une explosion d’une violence rare qui sidère tout le monde.
L’hôpital Shiffa de Gaza, annonce déjà 10 morts et de nombreux blessés. Nous proposons immédiatement de recevoir les victimes les plus proches de nous. Nos deux chirurgiens peuvent opérer toute la nuit s’il le faut. Mais cela n’est pour l’instant pas possible car les chars sont trop près. Le « 101 », le numéro unique des urgences, a reçu de très nombreux appels pour des blessés graves gisants sur le sol. Pour l’instant, ils ne sont pas accessibles et vont devoir attendre des heures que la Croix Rouge Internationale obtienne l’autorisation de l’Armée Israélienne d’envoyer une ambulance. Comment est-il possible que ce soit ceux qui bombardent qui décident à quel moment les blessés peuvent être pris en charge ?

A Gaza, il n’y a ni accès libre aux blessés, ni protection des civils. Ce sont deux violations manifestes du Droit Humanitaire International.

La frustration est forte pour notre équipe. Nous sommes venus pour réanimer et opérer les blessés. Mais cette nuit, ils ne peuvent même pas arriver jusqu’à nous ! Comment concilier la passion de notre engagement médical et la frustration de ne pas soigner ce soir ?

Nous savons les dégâts que font en ce moment ces terribles armes de guerre sur des civils sans défense. Une des horreurs de cette guerre, c’est l’impuissance face à autant d’injustice. Ceux qui tirent les bombes sont invisibles, inaccessibles ou bien cachés dans un tank. Ils devraient regarder de plus près les effets de leurs armes sur les femmes et les enfants de Gaza. Je ne suis pas persuadé que les mères et les enfants des soldats puissent être très fiers de ces exploits guerriers et meurtriers.

Avec plus de 1000 morts et 4000 blessés en 3 semaines, cette guerre sur Gaza ne servira à rien.
Tous ces pauvres gens sont morts pour rien. Le Hamas n’a aucune raison de quitter le pouvoir et Israël n’a aucune raison de libérer les frontières.