Haïti ne va pas mieux...

Manger... la crise ! Haiti, 20 octobre 2008 Le Nouvelliste

En avril, on semble n'avoir rien vu. Au lendemain des intempéries d'août et de septembre 2008, la crise s'est envenimée. Alors que 3 300 000 Haïtiens se trouvent dans une situation d'insécurité alimentaire, il faut maintenant composer avec une nouvelle hausse du chômage, avec une inflation supérieure à 18 %, à la sous-production agricole et avec le faible pouvoir d'achat des ménages.Un cocktail détonant.

Une femme au physique frêle étouffe un sanglot. Ce n'est pas possible, crâche-t-elle alors que Miracia, une marchande de produits alimentaires ayant son étal au marché flambant neuf de Croix-des-Bossales lui tend un sachet en plastique contenant une petite marmite de maïs payée 25 gourdes. Comme tous les jours, Miracia assiste, inquiète, aux accès de colère de nombreux consommateurs dont le pouvoir d'achat est devenu encore plus faible à cause de l'inflation qui a atteint 18.8 % au mois d'août 2008. « Quand les produits sont chers, les gens ne peuvent pas acheter », explique cette mère de 4 enfants en passant en revue quelques prix. « La petite marmite de riz coûte 35 gourdes, le pois noir 35, la farine 17 et le gallon d'huile 350 ».

A côté d'elle, une femme qui vend des patates venues de d'Elias Pinas, en République dominicaine, concède l'exceptionnelle gravité de la situation. « Il faut maintenant 50 gourdes pour acheter un lot de patates », dit-elle au moment où un homme, un marchand, lui confiait que l'on a de plus en plus du mal à trouver la patate de l'Artibonite. Les marchands de Croix-des-Bossales, aux premières loges,assistent aux déboires « d'acheteurs potentiels fauchés », aux effets pervers de l'inflation, mais surtout à la baisse de la production agricole locale au lendemain des intempéries d'août et de septembre 2008 tandis que 3 300 000 Haïtiens se trouvent dans une situation d'insécurité alimentaire.

Les choses se sont détériorées. Le secteur agricole, déjà faible, a subi des dommages estimés à plus de 100 millions de dollars lors des dernières intempéries. Cela a eu pour conséquence une sous-production, confie l'ingénieur-agronome Gary Mathieu, responsable de la coordination nationale de la sécurité alimentaire. Le numéro un de cet observatoire prédit, par ailleurs, une fuite des devises importante, puisque le pays devra augmenter ses importations de produits alimentaires. Selon le technicien, il faut préparer la prochaine saison. Les interventions, souligne-t-il, doivent prendre en compte l'environnement extrêmement dégradé.

Entre-temps, quelque 974 720 250 gourdes ont été mises à la disposition du ministère de l'Agriculture des Ressources naturelles et du Développement rural (MARNDR) pour la mise en oeuvre d'un plan pour relancer la production agricole, tout au moins la remise en état du secteur comme il l'était avant le passage de quatre cyclones dévastateurs d'août et de septembre. 600 000 000 de gourdes seront consacrées à l'acquisition d'engrais et d'outils agricoles, 165 000 000 à l'élevage, 123 720 250 de gourdes seront allouées à la protection des berges, aux curages, au "reprofilage" des lits de rivières. Par ailleurs, 196 000 000 millions de gourdes seront affectées à des activités de protection de ravines, confie le ministre de l'Agriculture Joanas Gué, vendredi 10 octobre, lors de la signature d'une série de contrats avec des firmes qui prendront part aux travaux de réhabilitation des infrastructures agricoles et à l'acquisition des intrants.

« Le ministère de l'Agriculture se démène pour tisser des liens entre la production et la commercialisation », a-t-il ajouté. Malgré les actions dont les impacts seront ressentis dans plusieurs mois par les ménages, au marché, la tension monte. Le cocktail détonant, chômage, inflation, sous-production agricole et insécurité alimentaire aigue, donne des sueurs froides. Manger en Haïti est de plus en plus un défi, une crise.