Témoignage d'un médecin de Gaza

C'est dans un petit bureau blanc où sont semées une table de consultation cloîtrée derrière un rideau plastifié et une armoire d'un marron tout aussi stratifié, que le bureau du Dr Majhdy fait un état des lieux édifiant de la vie à Gaza.

C’est l'heure des consultations, les patients se succèdent comme dans une chute de dominos. Il en voit ainsi plus de 150 en une seule journée. Mais, ce n'est pas de cette médecine dont il a rêvé lors de ses études, de la Jordanie aux Etats-Unis : « comment voulez que l'on puisse faire un vrai travail médical avec un suivi », s'indigne-t-il. « L’État Palestinien n'a pas de médicament et seul, comme ici dans cet établissement des UN, on a quelque chose à donner à tous ces gens, mais c'est si peu !". Cet établissement fonctionne dans son ensemble avec 14 millions de dollars, en prenant en compte les salaires. Il y a 1,5 millions d'habitants à Gaza. Comment peut-on soigner une personne avec 14 dollars par an? » s’interroge ce praticien.

Une femme entre et dépose son dossier médical sur le bureau ; le médecin l'interpelle en le consultant, « ce n'est pas pour vous ces médicaments », lui demande-t-il, « Non, c'est pour mon mari. Il est à la maison », lui explique-t-elle, avant d'ajouter, « Docteur, je ne sais plus quoi faire. Suite à son opération du cœur, mon mari a besoin de médicaments qui coûtent 60$ pour 15 jours de traitement et vous ne les avez pas, comment puis-je faire? ». Majhdi la quitte du regard et reprend sa prescription. Il ne répondra pas. Il n'a rien à répondre. La femme se lève et laisse place à un vieil homme. Il regarde si la femme est assez loin et se lâche, « que voulez-vous que je lui dise? Que son mari va mourir! Les gens ne peuvent pas se soigner. Ici les médicaments sont gratuits, mais c'est le minimum que nous avons en pharmacie. Les gens n'ont même pas de quoi se nourrir, alors pour se soigner! Ils viennent tous pour eux et des proches en même temps, juste pour économiser la course de taxi ». Une femme dans le couloir l'entend et lui dit « je suis une réfugiée et nous avons 10 enfants mon mari et moi. Je ne peux acheter que 200 g de viande par semaine », s'indigne cette mère.

Depuis la prise du pouvoir de Gaza avec les armes par le Hamas le 15 juin dernier, les Israéliens ont durci le quotidien des Gazaouis. Et en décrétant la bande de Gaza "entité hostile", le 19 septembre dernier, le ton était donné et les actes ne se sont pas fait attendre.

L'État Juif ne cesse d'accroître sa pression sur la bande de Gaza pour, selon elle, faire cesser les tirs des roquettes qui le visent. Le mois dernier, l'approvisionnement en carburant a été interrompu par les Israéliens, ce qui a contraint la principale centrale électrique de Gaza à procéder à des coupures de courant. Cette conséquence n'a fait qu'aggraver la situation humanitaire de la population civile à Gaza. Même le Conseil des droits de l'homme de l'Onu a déploré le mois dernier les "graves violations" commises selon lui par Israël à Gaza et exigé la levée du blocus israélien.

En considérant ce blocus comme une "punition collective" contre les Gazaouis, aujourd'hui les familles, l'économie et les hôpitaux sont amputés par ces coupures. Plus grave, la nourriture et les médicaments arrivent au compte-goutte. Les prix ont alors explosé. « Le prix du lait pour enfant a été multiplié par trois » constate le médecin, « très peu peuvent y accéder, alors les enfants sont les premières victimes de cette pauvreté croissante. Près de 50% des enfants de mois de 3 ans sont victimes d’anémie sanguine et 30% des femmes enceintes aussi ». Toute cette guerre n'épargne personne, mais les premières victimes sont les enfants. La psychotraumatologie enfantine est à son maximum avec des enfants sans repères et dans un état de stress permanent selon ce médecin. « Je n'ai plus peur pour moi, mais pour ma petite-fille Farah, 14 mois », précise Majdhy.

Aujourd'hui, il veut garder un soupçon d'espoir en créant avec des médecins et des juristes l'association Gaza Health Group et surtout en espérant travailler avec Help Doctors. « J'espère que mes collègues viendront constater notre désarroi et m'aider dans ce projet d'un centre de diabétologie pour enfants. Car plus de 1000 enfants sont concernés par cette maladie. J'espère qu’Help Doctors me fera confiance » conclu-t-il, avant de demander au prochain patient de prendre place.