Pas de Saint Valentin à Gaza

Le visage semé d'une barbe naissante sous de petits yeux fatigués, Zakry Hegazy, horticulteur à Rafah, au sud de Gaza erre sous une de ses serres colorées de milliers de fleurs : "Elles auraient dues être coupées depuis plusieurs jours et à cette heure, elles seraient déjà sur les étals d'Europe" pour la Saint-Valentin, déplore ce quadragénaire qui a tout perdu avec le blocus israélien. Au lieu de cela, elles sont données en pâture au bétail.

Depuis la prise du pouvoir par le Hamas le 15 juin, les Israéliens ont durci le quotidien des Gazaouis en décrétant la bande de Gaza "entité hostile", le 19 septembre. Un blocus a été imposé pour asphyxier les activistes du Hamas et surtout en finir avec les tireurs de Qassam. A la frontière ne passe que le strict minimum. Les exportations ont été stoppées, seuls les produits israéliens rentrent à Gaza.

Pour ce propriétaire de 6 hectares, cette fermeture lui a déjà coûté 600.000$. "J'ai licencié mes 50 ouvriers. Il y a quelques jours, j’ai repris 20 personnes pour couper les fleurs qui vont aller au bétail. Je ne pensais vraiment pas que la situation allait durer aussi longtemps. J'ai tout perdu", glisse-t-il, le regard sur ses fleurs, avant de mettre sa main à l'intérieur de son blouson marron et de s'adonner à son nouveau passe-temps nocif, la cigarette. "Je n'avais jamais fumé avant et maintenant comme tout notre peuple, je me meurs à petit feu", regrette ce fils d'ouvrier agricole qui a convaincu son père il y a 15 ans de passer à la culture des fleurs. Avec ses sept enfants, il vit dans une grande maison où se croisent 50 membres de sa famille.

De la politique, Zakry n'en fait qu'autour d'un verre thé et sans appel à la violence. "On pourrait trouver une solution à notre problème. Et le Fatah et le Hamas devraient pouvoir parler ensemble. Je ne demande qu'à vivre en paix, mais nous sommes tous dans une prison dont la porte a été fermée à clé et qui est entre les mains d'Israël", analyse l'exploitant avant de rêver de nouveau de ses fleurs.

"A chaque fois que mes fleurs partaient pour la Saint Valentin, je m'imaginais qu'elles devaient permettrent de faire taire des querelles de couple et faire fleurir le coeur d'autres", dit-il avant d'être interrompu par l'arrivée des ouvriers le long des allées de fleurs soigneusement parallèles. Ciseaux à la main, ils s'activent et coupent les tiges avant de les entasser en bottes. Un homme arrive et les dépose sur la charrette tirée par un âne. Zakry avait alors l'habitude de les conditionner dans des cartons pour l'export. Mais désormais les bottes sont remises à d'autres ouvriers qui, d'un geste violent, les arrachent par poignées pour les mettre en sacs.

Un peu plus loin, dans un grand hangar, des vaches, des moutons et même un dromadaire regardent avec délectation leur nouvelle nourriture arriver. Les vaches ne se font pas prier pour se jeter sur les fleurs qu'elles engloutissent.

Le spectacle est insoutenable pour Zakry. Il sort et rallume une cigarette.



Mehdi Fédouach