Témoignage de Corinne Perron, infirmière à Sharonkhola

Mission accomplie?

Doit-on se poser cette question quand on revient d'une mission humanitaire? Je ne crois pas... D'abord parce qu'on ne "revient" pas vraiment... et puis surtout parce qu'avant de partir on ne s'imagine pas l'ampleur de la catastrophe qu'on découvrira sur place, on ne peut pas prétendre aller "accomplir une mission".

Notre tâche était celle de médecins et d'infirmier(e)s urgentistes répondant à l'appel au secours de Friendship, ONG bangladaise qui soignait les populations touchées par le cyclone Sidr au sud du Bangladesh depuis le 15 novembre. Notre travail a consisté à renforcer les équipes de paramedics déjà sur place, à les aider à surpasser l'épuisement face au nombre considérable de soins à accomplir.

C'est pour cela que je préférerais parler de solidarité internationale par une équipe médicale plutôt que de "mission humanitaire" dont le vernis de l'expression cache une attitude néocoloniale de french doctors prétentieux.

Dès notre arrivée, quelques jours après le passage du cyclone, nous faisons la constatation terrible que des milliers de gens n'ont toujours pas d'abris ni de conditions sanitaires minimales.

La vision de ces tentes montées à la va vite par les rescapés sur des kilomètres de boue...


Les gens s'approchent des rives et viennent nous chercher.


Ils reconstruisent des abris avec tout ce qui leur reste, et quelques bâches apportées par l'armée.



Nous commençons les soins. Les gens, par centaines, attendent patiemment leur tour. Les visages sont graves; les regards encore plein du souvenir de l'enfer.

Les corps sont meurtris, marqués dans la chair et les os par la violence de la montée des eaux et de la vague qui les a submergée.

Des plaies profondes non suturées se sont infectées, des maladies de peau sont apparues (gâle, eczema), et des diarrhées dues au manque d'eau potable affaiblissent considérablement les jeunes enfants et les vieillards. La faim tenaille aussi toute cette population de paysans et de pêcheurs qui a perdu tous ses champs, ses barques, ses filets...


Nous nous déplaçons chaque jour dans des villages différents. Partout, des gens épuisés, en souffrance et en attente de soins.


Régis et moi travaillons avec deux paramedics bangladais: Ahmed et Naqma, tous deux impressionnants de calme, de sérieux et de compétence, entièrement absorbés par leur tâche, travaillant 15 heures d'affilée quotidiennement sans laisser apparaître le moindre signe de fatigue.

Avec Naqma je m'occupe des femmes et des enfants, Régis et Ahmed s'occupent des hommes.

Dans cette zone la plus durement touchée par le cyclone, les morts ont été comptés par milliers. Chaque famille est affectée par la disparition d'au moins un des siens: une mère, un frère, un enfant...

Sur les visages dignes se dessinent parfois le sourire des mamans qui ont pu sauver leurs petits.

En barque où à vélo, avec les équipes de Friendship, nous apportons médicaments et nourriture.

Dans le bidonville de Rayenda, lors d'une journée de soins et de consultations, nous découvrons des enfants souffrant de fractures de bras et de jambes depuis le passage du cyclone. Nous leur faisons des attelles. Nous soignons aussi beaucoup de plaies et de maladies de peau aggravées par l'état sanitaire catastrophique de la ville inondée ce jour là par la rivière qui était montée à plus de 5 mètres.



L'hôpital de Rayenda est complètement délabré. Il y manque de tout: médicaments, électricité, eau...etc. C'est un mouroir.


Deux hélicoptères américains ont atterri un jour à côté de cet hôpital. 18 marines ont débarqué et ont distribué des médicaments pendant 4 heures (et des bonbons aux enfants). Nous avons été choqué par cette façon de faire de "l'humanitaire". En treillis...


Aujourd'hui, la population bangladaise a besoin de nourriture, d'eau potable et d'abris.

Notre action d'urgentistes va se poursuivre avec Friendship par des sessions de formation de leurs équipes à la médecine d'urgence et de catastrophe.

Et nous souhaitons que le sens de la solidarité internationale se développe encore plus pour que ces sourires là ne meurent jamais.

Corinne Perron Infirmière Paris, le 10 décembre 2007