Monitoring des traitements dans les pays à ressources limitées

Comment mesurer l’efficacité des traitements antirétroviraux dans les sites à ressources limitées à l’heure du passage à l’échelle ? C’est une question essentielle, à laquelle une session était consacrée à Toronto1.

On a montré, les ONG notamment, MSF en particulier, et d’autres, comme l’équipe de Paul Farmer, en Haïti et au Rwanda2,3 que l’on pouvait délivrer des premières lignes d’antirétroviraux dans les endroits les plus reculés, auprès de populations socio-économiquement vulnérables, dans des conditions satisfaisantes du point de vue de l’efficacité, de l’observance, de la fréquence d’émergence des mutations de résistance, et du coût. Dont acte. Première révolution, aujourd’hui accomplie.

La deuxième révolution, d’une toute autre ampleur, c’est de passer à l’échelle. Il s’agit de maintenir et d’amplifier les programmes d’accès, d’en assurer la pérennité notamment financière, d’anticiper le moment et le coût des deuxièmes lignes, de prévoir et de prévenir l’émergence inéluctable de résistances, de faire en sorte que l’équité de l’accès aux soins soit respectée. L’objectif étant de ne pas laisser sur le bord de la route tous ceux qui ne vivent pas aux bons endroits, en remplaçant la fracture Nord-Sud par une fracture Sud-Sud.

UN PROJET COLOSSAL La première question à résoudre, comme il a été largement débattu lors de la conférence de Toronto, c’est celle des ressources humaines, trop longtemps différée (voir "Personnels soignants face au sida : agir contre la pénurie" dans ce numéro).

La deuxième question, également essentielle, c’est celle du coût et de l’accès aux deuxièmes lignes de traitement, de nouveau (voir "Un tournant pour l’économie du sida dans les pays en développement"). La troisième, tout aussi essentielle, c’est celle du suivi des patients, au-delà de la première année de traitement, quand la question des échecs thérapeutiques, des résistances, des changements de traitement, obligera, et c’est déjà le cas, à réfléchir aux moyens à mettre en oeuvre pour que l’on puisse, au moindre coût, maintenir une qualité de prise en charge éthiquement acceptable.

Comment faire pour préserver le plus longtemps possible les premières lignes de traitement, qui sont aussi les moins coûteuses et les plus accessibles, dans des contextes où l’on ne peut compter, au mieux, que sur une deuxième ligne ? Comment faire pour ne pas retarder au-delà du raisonnable, pour le patient et pour les résistances virales, les changements de traitement ? Comment identifier les défauts d’observance avant que la première ligne de traitement ne soit compromise par l’émergence de mutations de résistance ? Quels outils de suivi et de décision utiliser dans ces contextes ?

L’HEURE DES CHARGES VIRALES DECENTRALISEES Pour mémoire, dans les pays riches, l’outil standard de suivi qui permet de répondre à toutes ces questions, c’est la mesure de la charge virale VIH par PCR, examen relativement complexe, coûteux, nécessitant un personnel qualifié et un environnement de laboratoire relativement sophistiqué.

Or les nouvelles recommandations de l’OMS, présentées lors de la conférence de Toronto4, sans la valider encore, ouvrent la voie à l’utilisation de la charge virale (CV), dans les contextes à faibles ressources, d’abord pour le diagnostic virologique de l’infection chez l’enfant de moins de 18 mois, mais aussi pour le suivi et la prise en charge de l’adulte traité par antirétroviraux, sur site, sous réserve de disposer d’outils plus simples et moins coûteux que ceux existants. L’objectif principal, avec un accès large à la CV VIH, étant d’identifier les échecs thérapeutiques avant qu’ils ne soient repérables cliniquement ou immunologiquement, à un moment trop tardif du point de vue de la santé des patients mais aussi du point de vue de l’émergence de mutations de résistance. La question n’est plus tant une question de fond, sur la pertinence de la démarche, qu’une question de forme sur la nature des outils et les modalités optimales de leur utilisation. Et, là encore, merci à MSF, qui a ouvert le débat et qui présentait, avec quelques autres auteurs, lors de cette Conférence, les premiers travaux de recherche opérationnelle sur la question.

Dans une étude menée à Khayelitsa, en Afrique du Sud5, sur 598 patients débutant une première ligne d’ARV, la CV était mesurée initialement, à 3 et 6 mois, puis tous les 6 mois. 90% d’entre eux avaient une CV indétectable à 6 mois. Dès que le virus redevenait décelable (> 400 copies/mL), le patient subissait un cycle de contrôle de l’observance et de conseil pendant 4 semaines puis un nouveau contrôle de la charge virale. La durée médiane de thérapie avant une première CV détectable était de 4,8 mois et, lorsque le délai entre ce premier résultat élevé et le contrôle était inférieur à 4 mois, 71% des patients retrouvaient une CV indétectable par la suite.

Avec un délai supérieur à 7 mois entre la première CV indétectable et le contrôle, la chance de retrouver une CV indétectable était de 25%. L’équipe MSF concluait que, dans ces contextes à faibles ressources, la charge virale devait être contrôlée à M4 afin de permettre la mise en place précoce de mesures d’amélioration de l’observance et de protéger la première ligne d’antirétroviraux d’un échec précoce.

Dans la lignée de cette expérience, MSF présentait les résultats d’une consultation élargie sur les conditions optimales d’utilisation et les caractéristiques techniques souhaitées pour une mesure de la charge virale dans les contextes à ressources limitées6. Ils concluaient que, dans les contextes où la priorité est de conserver le plus longtemps possible une première ligne d’ARV, en l’absence de possibilité de troisième ligne, une mesure de charge virale à M4 permettrait de détecter les échecs précoces et de mettre en place des interventions correctrices.

Ils suggéraient que le seuil de changement de ligne de traitement soit fixé à 10000 copies/mL et qu’un test idéal, simple, semi quantitatif, (limite de détection 400 copies/mL, seuil à 10000 copies), portable, ne nécessitant pas de chaîne du froid et peu coûteux devait être développé et validé pour satisfaire aux objectifs. Un test PCR rapide sur bandelette (dipstick) avec détection visuelle était considéré par les auteurs comme le modèle idéal dans ces contextes.

OUTILS ALTERNATIFS La mise au point et le développement d’outils alternatifs de mesure de la charge virale est donc aujourd’hui une priorité pour un certain nombre d’acteurs. Dans ce domaine, Christine Rouzioux présentait notamment les résultats de l’utilisation de sa technique de PCR en temps réel, au Cambodge et au Vietnam, pour le diagnostic précoce des infections chez l’enfant de moins de 18 mois7.

La sensibilité et la spécificité du test étaient de 100% pour un coût d’environ 10 USD par test. Lee et al, de l’Université de Cambridge, présentaient un test rapide sur bandelette réactive à lecture visuelle avec une sensibilité de 97,2% et une spécificité de 100%8. Ils annonçaient le développement de ce test sous une forme simple, portable, fermée, opéré par une batterie. D’autres tests sont proposés par d’autres équipes, notamment des tests de mesure de l’antigène p24 par Elisa ou des tests de mesure de l’activité de la transcriptase inverse, moins pertinents mais moins coûteux que les PCR en temps réel. Tous doivent être validés, comparés et testés en situation réelle.

Pour conclure, l’heure des charges virales décentralisées est probablement venue, après celle des antirétroviraux décentralisés, celle des mesures de CD4 décentralisées, celle des délégations de tâches médicales à des acteurs non médicaux, celle des prix différentiels pour les médicaments destinés aux pays pauvres et, peut-être, celle des tests diagnostiques rapides pour le dépistage.

Pour chacun de ces dossiers, la lutte n’est pas terminée. Le débat continue. L’accès aux soins et à la prise en charge pour tous justifie que ces dossiers soient portés par la communauté des acteurs de la lutte contre le sida, en n’oubliant toutefois pas la nécessité, impérative, de faire en sorte qu’un accès plus large aux soins et aux services ne s’accompagne pas d’une perte de qualité et de sécurité thérapeutique inacceptable.

De ce point de vue, il sera bien sûr nécessaire de tester soigneusement les différentes stratégies de suivi et de prise en charge, en termes d’efficacité, de coût et de faisabilité. Souhaitons que de nombreux programmes de recherche opérationnelle s’engagent sur ces questions et aident rapidement les acteurs de terrain à "tenir les promesses".

Lire l'article sur piste.fr

1 - "Monitoring treatment efficacy in the context of resource limited settings", TULP01 2 - Walker K.C., et al., "Implementation of the partners in health (PIH) community-based model of HIV care and prevention in a rural health district in Rwanda", TUPE025 3 - Epino H.M. et al., "Preliminary outcomes of patients receiving supervised antiretroviral therapy in rural Rwanda", WEPE0086 4 - WHO HIV Prevention and Treatment Guidelines 2006, www.who.int 5 - Hildebrand K. et al., "Targeting early virological escape is a powerful tool to keep patients on first line when there are limited salvage options", CDB0780 6 - Calmy A. et al., "New models of treatment monitoring in resource-poor settings : is viral load a dream or a necessity ?", CDB0114 7 - Ngin S. et al., "The HIV-1 RNA real time PCR : a low cost strategy to diagnose HIV infection in infants born from HIV-infected mothers in Cambodia and Viet Nam", MOPE0098 8 - Dineva M. et al., "Visual dipstick detection of HIV-1 genome in resource-limited settings", MOPE0083