L'Afrique se vide de ses trop rares médecins

Pour un médecin qui reste, deux s’en vont

Selon le rapport de la Commission pour l’Afrique (instituée par le Premier ministre britannique Tony Blair en 2004), qui est paru en mars 2005, environ 65 000 médecins et 70 000 infirmières africains travaillent en Afrique. Soit un cinquième du personnel médical exerçant sur le continent. Ce qui illustre l’ampleur de la migration de médecins et d’infirmières vers les pays riches. Toutefois, selon les pays, la part des professionnels de santé originaires d’Afrique et résidant à l’étranger varie énormément. Ainsi, pour chaque médecin libérien qui travaille dans son pays, environ deux vivent dans des pays riches. Le Nigeria a, lui, une diaspora réduite contrairement au Ghana par exemple.

Par ailleurs, on peut faire le lien entre l’absence de professionnels et la stabilité économique et politique des pays d’émigration. L’Angola, le Congo- Brazzaville, la Guinée-Bissau, le Liberia, le Mozambique, le Rwanda et la Sierra Leone ont tous enduré la cruauté d’une guerre civile dans les années 1990. Durant cette même période, ils avaient perdu plus de 40 % de leurs médecins. Pour leur part, le Kenya, la Tanzanie et le Zimbabwe ont vécu pendant des dizaines d’années une stagnation économique avec, en parallèle, la perte de plus de la moitié de leurs médecins au seuil du XXIe siècle.

Les différences entre les chiffres sont éloquentes

L’exemple du Mozambique démontre la sensibilité des données quand elles sont disponibles et rendues publiques. En effet, les différences entre les chiffres présentés par les uns et les autres sont éloquentes. L’Association des médecins du Mozambique estime que seulement 5 % des praticiens du pays travaillent à l’étranger. Les chiffres établis par les ONG démontrent au contraire qu’environ 75 % des médecins mozambicains en activité n’y résident plus, ayant émigré en quête de meilleures conditions de travail. Huit des neuf pays d’accueil choisis – le Royaume-Uni, les Etats-Unis, la France, l’Australie, le Canada, le Portugal, la Belgique et l’Espagne – représentent la destination de 94,2 % de l’ensemble des émigrés africains. Le neuvième, l’Afrique du Sud, est le pays africain qui reçoit le plus de professionnels de santé issus d’autres pays du continent.

On estime que chaque année 20 000 médecins, infirmières ou autres, quittent l’Afrique à destination de l’Europe ou de l’Amérique du Nord, ce qui signifie que d’ici à 2015 il faudrait former 1 million de nouveaux professionnels de la santé pour atteindre les fameux “objectifs du millénaire” (huit objectifs de développement définis par les Nations unies en 2000 pour améliorer les conditions de vie d’ici à 2015).

Paradoxalement, l’Afrique est devenue un centre de formation de personnel médical pour les systèmes de santé des pays du Nord. L’Europe, les Etats-Unis et le Canada ont négligé la formation d’un nombre suffisant de professionnels pour répondre aux besoins croissants causés par le vieillissement de leur population. Ils se voient donc obligés de recruter de la main-d’œuvre étrangère, généralement bien moins chère que celle du pays. Le Royaume-Uni pourrait manquer de 25 000 médecins et de 35 000 infirmières d’ici à 2008. Les Etats-Unis, pour leur part, doivent trouver 1 million d’infirmières dans les trois ans qui viennent. Le recrutement international semble ainsi une solution simple et bon marché pour faire face à la pénurie des pays riches. En cherchant en Afrique, ceux-ci économisent sur le coût de la formation, dix fois inférieur sur le continent de l’indigence, selon les “recruteurs”. La flexibilité des professionnels africains constitue un autre avantage ; ils sont plus disposés à travailler la nuit ou à faire des heures supplémentaires.

La fuite des cerveaux a des conséquences désastreuses

De la sorte, le continent africain devient une proie facile pour les économies des pays riches, qui attirent les professionnels de la santé notamment grâce à des salaires sans commune mesure avec ceux pratiqués dans leurs pays, de meilleures conditions de travail et une sécurité de l’emploi qui ne dépend pas du régime politique en place. Pour l’Afrique, la fuite des cerveaux a des conséquences désastreuses économiquement mais aussi sur le plan de la formation des jeunes. Les pays du continent parient sur ces jeunes diplômés sans parvenir par la suite à les retenir ou à les faire revenir afin qu’ils mettent leur savoir au service de l’Etat qui les a soutenus. Il est vraiment indispensable de changer les mentalités pour créer les conditions d’un retour des jeunes professionnels de la santé partis à l’étranger. Ils contribueraient ainsi au développement de leurs pays d’origine.

(Savana, Maputo) Mafalda Brizida SA Sports Illustrated