La grève de la faim est une arme dangereuse

La grève de la faim est un mode de revendication extrême, signe ultime de désespoir qui engage la santé et la vie, de ceux qui ne peuvent se faire entendre.

Si en aucun cas il n'est envisageable et éthique qu'un médecin ou une association humanitaire soutienne le recours la grève de la faim comme moyen de revendication, les conséquences directes sur la santé ne peuvent être ignorées.

De nombreux exemples de revendications politiques souvent menées par des détenus (politiques et militants) ont été cités en référence. Dans de tels contextes l'implication de soignants auprès des grévistes s'est souvent fait aussi autour de la cause qu'ils pouvaient défendre.

Aujourd'hui , en France, le contexte a changé, et les grèves de la faim sont surtout contemporaines des demandeurs d'asile et des sans papiers. Les médecins urgentistes de l'AMUF sont de plus en fréquemment sollicité soit pour apporter une assistance médicale directe aux grévistes dans le cadre de leur activité médicale de SAMU ou d'urgence.

Avant tout, il a été rappelé que les grévistes de la faim, et souvent les soignants en connaissent que trop peu les conséquences directes sur la santé, autant immédiates qu'a long terme.

Le soignant a donc un rôle primordial d'information du gréviste, dans l'intimité et le respect de la consultation médicale. Ce premier contact est fondamental et doit permettre de créer un lien privilégié entre le médecin et le gréviste.

Le soignant se trouve le plus souvent dans une situation délicate : il doit assister sans soutenir. Il faut à la fois respecter le libre choix du gréviste mais aussi constamment l'informer des risques encourus et savoir décider de passer à une assistance médicale supplémentaire avec le recours à l'hospitalisation.

Les médecins et soignants qui sont quotidiennement présents auprès des grévistes, on cependant un rôle important en terme de témoignage sur l'état de santé des grévistes.

Le risque de manipulation politique est donc réel. Les médecins risquant de devenir des auxiliaires des autorités sanitaires (DDASS, DRASS, préfectures). Pour exemple, le cas des médecins urgentistes des SAMU et des Urgences des hôpitaux, qui parfois sont réquisitionnés et mandatés par les Préfets, pour assurer le suivi quotidien des grévistes.

Les médecins urgentistes, apportent le même soins et la même attention tous les patients. Cependant l'arrivée des grévistes de la faim dans les urgences des hôpitaux se fait le plus souvent dans un climat difficile et tendu. Ce fut le cas Lille en Mai 2004, lorsque que plus de deux cents sans papiers se sont présentés simultanément aux urgences du CHRU pour faire constater leur début de grève de la faim. Dans le même sprit, on se souvient aussi des 45 jours grève de la faim des sans papiers de Cachan pendant l'été 2006.

Un tel afflux de patients, dans un but souvent médiatique, désorganise l'hôpital et ne permet pas une prise en charge convenable des grévistes, ni des patients "quotidien" des urgences.

C'est face ses grèves de la faim très organisée et structurées que les soignants ont le plus de mal trouver leur place. A Lille, en mai 2005, 500 grévistes "sans papiers" s'étaient regroupés dans un "camp" en centre ville.

Les associations médicales locales et nationales sollicités ont toutes répondue à la DDASS qu'une prise en charge médicale pouvait être apporté aux grévistes sur le mode du volontariat des médecins, mais en aucun cas au nom d'une organisation.

Très vite plus personne n'a été en mesure d'apporter la moindre réponse médicale à ce mouvement de masse. Il était impossible de faire seul 500 consultations médicales par jour dans un camp de tentes…

La situation sanitaire précaire du "camp", la surpopulation, mais aussi une alerte sanitaire lancé par le SAMU à la préfecture, ont permis de faire comprendre la gravité de la situation aux autorités. Pendant plusieurs jours, les ambulances, la régulation médicale (15) et les services des urgences ont été surchargés de patients refusant l'hospitalisation, mais souhaitant tout de même une aide médicale personnalisée. En cas de dégradation de l'état de santé simultané des grévistes, et même en cas de début d'épidémie de diarrhée infectieuse (promiscuité et insalubrité du site) il aurait fallu plusieurs jours pour évacuer et hospitaliser tous les grévistes. En huit jours, la préfecture et le gouvernement s'engageaient à régulariser les sans papiers, et la grève de la faim "collective" fut levée.

C'est un fait nouveau. Pour la première fois, la grève de la faim est utilisée comme un moyen d'action de masse très médiatique qui désorganise les structures de santé existantes.

Ce n'est pas les revendications "humaines" qui ont fait aboutir le mouvement, mais bien l'action elle même, inédite par son ampleur et sa médiatisation. Les autorités sanitaires locales sont impuissante face à la médiatisation d'un tel risque médical collectif.

Alors, quelles recommandations :

Il faut travailler à mieux faire connaître à tous les soignants impliqués (volontaires, associatifs, hospitaliers) les modalités de suivi et les conséquences médicales de la grève de la faim. Un document de synthèse médicale, ainsi qu'une fiche médicale de suivi doit être mise en place. L'Association des Médecins Urgentistes de France (AMUF) se propose d'en être le relais pour les associtations humanitaires du terrain, auprès de tous les services d'urgence, SAMU et SMUR de France.

La rédaction par l'AMUF d'un document d'information au patient, rédigé dans plusieurs langues, pourrait permettre de créer un premier contact et une meilleure information des grévistes sur les risques médicaux qu'ils encourent.

Le recrutement d'un interprétariat neutre (ne faisant ni parti des comités de soutien, ni de la préfecture) doit être systématiquement recherché.

Les urgentistes ne doivent pas s'impliquer à la fois en tant que soigants et hospitaliers auprès des comités de soutien (soutien politique aux revendications) et auprès des grévistes eux mêmes (soutien médicale). On ne peut etre à la fois "soignant et militant", car cela reviendrait à "encourager" la grève de la faim comme modalité de revendication, ce qui est totalement impensable.

La plus grande prudence est rappelée face aux tentatives d'instrumentalisation des médecins par les institutions d'état. Ce sont elles qui ont la responsabilité du suivi et de l'évaluation de l'état de santé des grévistes (DDASS).

Le témoignage doit rester très factuel. Basé sur le constat médicale, il doit insister sur l'importance de ce geste de désespoir qu'est la grève de la faim.

Les responsables des comités de soutien doivent être également informés des risques encourus et de l'état de santé des grévistes.